jeudi 8 avril 2010

NN Renault

Quand Gérard, qui "aime notre Lorraine", a publié sur son blog une série de vieilles voitures photographiées à Nancy, j'ai tout de suite reconnu la NN qui, parmi les divers modèles qui ont existé, ressemblait fort à la nôtre… et une foule de souvenirs plus ou moins précis ont refait surface.
J'avais tout juste sept ans…


Ce dont je me souviens avec précision, c'est Papa, commentant avec fierté l'engin avec mes deux oncles. La voiture dont j'appris bien plus tard qu'elle avait été rachetée à "Tonton Raymond" était garée juste devant le pavillon de mes grands-parents à Clamart. Elle était couleur café au lait, terne, avec un toit noir et elle était équipée d'un coffre étroit plaqué à l'arrière et capable d'accueillir une unique grande valise (que je possède encore). C'était une voiture haute, comme on les faisait avant guerre, avec des marchepieds le long des portières, un pare-soleil prolongeant le toit sur le pare-brise plat équipé d'un essuie-glace hésitant, un mince pare-choc cabossé et des phares saillants comme des yeux de crapauds. Son capot en pointe était orné sur sa tranche du logo tout simple de la marque emblématique de l'île Seguin où l'auto était vraisemblablement née entre 1924 et 1928. Déjà en 1955, cette NN Renault était un modèle obsolète et réformé. Dans les rues de Paris on voyait surtout des Traction et des 203. Comme nous habitions en ville, nous n'avions pas d'automobile, n'en ayant pas le besoin… sinon le métro ou le bus à plateforme arrière épargnait parfois mes guiboles juvéniles et maigrichonnes. Pour les vacances en Bretagne, c'était le train ; pour les sorties du dimanche du côté de Meudon ou sur les bords de la Seine, c'était, pour moi, assise à l'arrière du vélo de Maman, ma sœur sur celui de Papa. Papa avait une moto qu'il laissait à Ormesson où ma grand-mère avait hérité d'une toute petite maison avec un jardinet qui adoucit un peu les restrictions alimentaires pendant la guerre et où nous profitions de la "campagne" ! Quand par chance je pouvais monter dans la 203 de mon oncle, assise à côté du chauffeur sur les genoux de ma tante, j'étais fière comme Artaban, c'était le luxe suprême, un bonheur rare ! D'autant plus que mon oncle connaissait la ville comme sa poche. Les rues pavées m'apparaissaient avec enchantement au-delà du Lion qui ornait le capot et c'était de nuit que ces trajets avaient ma préférence car "Tonton Maurice" faisait volontiers un détour pour nous permettre de voir les lumières de la ville.

Je n'ai pas oublié cette journée du printemps 1955 où la NN fit son apparition, mais je n'ai pas compris tout de suite que cette voiture devenait la nôtre et qu'en même temps, cela signifiait que nous allions quitter Paris pour aller vivre "en province". Ma santé était en partie responsable de ce départ inopiné. Notre vie allait changer du tout au tout avec cette Lorraine qui s'offrait à nous, là-bas, loin vers l'est ! Si la famille s'amusait de notre exil, mon grand-père, qui y avait fait la guerre et eu la chance de ne perdre que l'odorat à cause d'un gaz malencontreusement respiré en 1916 dans les Vosges, près de Charmes, n'admettait pas notre départ chez les "Boches". Il nous annonça clairement refuser de venir nous y rendre visite.

Le tacot nous permit de faire la tournée des adieux auprès des amis dispersés çà et là dans la banlieue parisienne, tout à fait comme si nous partions pour un voyage sans retour ! C'est ainsi que j'ai retrouvé l'unique photo de la Nénette (c'est ainsi que nous l'avions surnommée) prise à Savigny-sur-Orge, mais visiblement, le photographe, en l'occurrence Papa, s'était plus intéressé à garder un souvenir des enfants que de la titine ; même le chat fut invité à prendre la pose !

(Savigny-sur-Orge, 1955)

Mais comme c'est loin, la Meuse, pour une vieille voiture poussive ! Jamais je n'oublierai le jour où nous avons quitté définitivement la capitale. Certes, l'auto était belle, mais elle était fatiguée ! Elle parvint péniblement à monter la côte pavée après le pont de Joinville sous le regard goguenard du tirailleur Sénégalais. Mes parents prirent alors conscience que la route serait longue ! Peu m'importait… je savourais ce voyage. Le contact du cuir rouge craquelé des sièges était raide et frais sous mes cuisses maigres. L'auto me paraissait immense et j'admirais que Papa sut conduire un tel engin. Je crois même me souvenir qu'il passait le bras par la portière pour signaler chaque changement de direction… l'auto étant exempte de "clignotant" !
J'ai oublié une bonne partie du paysage ayant probablement dormi ou somnolé. Pourtant, la traversée de la Champagne alors "pouilleuse" me sembla interminable et monotone ; c'était la première fois que je voyais de si longues rues sans maisons et j'en étais stupéfaite. La chaleur se mit à nous faire souffrir quand le soleil de juillet au zénith tapait dur sur le toit noir du véhicule qui avançait au rythme d'une limace. Je demandais plus d'une fois si nous allions bientôt arriver.

Quand nous sommes arrivés à destination, un camion nous attendait devant notre nouvelle demeure, la poste d'un petit village, avec tous nos meubles et nos affaires. Je n'en revenais pas ! On avait éloigné les enfants pendant le chargement auquel je n'avais donc pas assisté.

Ma famille s'adapta de façon étonnante à la vie de village où le confort était loin de celui que nous avions laissé derrière nous ! Les villageois s'en étonnèrent, mais nous restâmes toujours "les parisiens" et mes impitoyables camarades d'école se moquèrent longtemps de mon accent que je métissai bien vite avec le parler local !

Et la NN ? Elle fut vite revendue et remplacée par une petite 4CV neuve, couleur "coquille d'œuf", achetée ainsi que quelques meubles avec l'argent de la vente de l'appartement du 11ème arrondissement. Cette petite auto nous permis de découvrir la Lorraine au fil des dimanches, et même mon grand-père vint y faire l'incontournable tournée des champs de bataille autour de Verdun, dénonçant ainsi sa promesse.

(Maxey-sur-Vaise, mai 1956)

La NN est partie chez un collectionneur contre une poignée de francs ; il fit une excellente affaire ! Je crois me souvenir que la tractation fut de l'ordre de 10 000 Francs, des anciens, ceux d'avant la dévaluation par le général De Gaulle. Ce montant dérisoire correspondait à ce que la plupart des tirelires enfantines pouvaient généralement contenir !