mercredi 2 septembre 2015

Moi, Le chien…

Je suis né en 2004 et mon maître a voulu compenser mon absence de pedigree en m'attribuant un nom commençant par V. J'aurais pu m'appeler Victor ou Voyou, mais monsieur a pensé que "Vatan", évoquant ses origines berrichonnes, me conviendrait parfaitement. Madame, qui n'était pas d'accord compte tenu de l'ambiguïté verbale de ce nom, m'appelle tout simplement "Le chien". Délicate attention méritant bien mes coups de langue sur ses mains douces et câlines.

Dans ma bourgade où je me balade en toute liberté, on m'apostrophe avec des "Va t'en, le chien !" quand je suis trop intrépide. Quand, curieux, je poursuis les gamins jusque dans la cour de récréation où ils m'accepteraient bien volontiers comme compagnon de jeu. Quand, malgré les effluves d'encens, je pointe le bout de mon museau dans l'église. J'ai déjà vu de près les galoches du curé tenant son aube retroussée à deux mains pour mieux me botter l'arrière-train qui en a gardé quelque temps un bien cuisant souvenir ! Plus aimable, le boucher, afin de se débarrasser de moi, me lance le plus loin possible de son échoppe, un os hélas trop bien nettoyé.

Un sentier équestre traverse la commune et j'avais accompagné mon maître quand il avait contribué à en peindre le balisage. Le chemin, entouré de prairies grasses en hiver, passe au pied du village, le contournant. Le bouton d'or y accroche les premiers rayons de soleil printaniers, relayé en juin par le coquelicot écarlate. À la fin de l'été, le passage des cavaliers est salué par la cardère bourdonnante d'insectes butineurs. Un gué permet de franchir un pétulant ruisseau qui rafraîchit quelques instants les pattes des montures et le vin rosé des cavaliers s'arrêtant là pour déguster leur pique-nique à l'ombre d'un très vieux chêne. Le chemin longe ensuite une falaise abrupte, refuge du timide lézard vert, de l'orvet fragile et de la coronelle lisse. Puis il s'éloigne vers l'ouest où, le soir venu, assis près d'une borne, je regarde s'éloigner en contre-jour leurs silhouettes de centaures.

Ainsi, je fais des allers et retours, jappant d'un groupe à l'autre, au grand dam des cavaliers chevauchant une carne trop craintive.
- Va t'en ! me crie-t-on alors, cherchant à me donner un coup de cravache que j'esquive avec une élégante souplesse. Cet exercice sportif devient quasi quotidien en été lorsque les caravanes se suivent de près comme des pèlerins sur un chemin de Compostelle.

Hier, alors que dans le petit matin de novembre la brume peinait à se dissiper, j'entendis une voix crier dans le vallon :
- Vatan !
Ni une, ni deux, j'accourus du plus vite que le permettaient mes courtes pattes. Un hennissement. Des bruits de sabots. Un meuglement. Il se passait quelque chose de grave ! Un gros bœuf s'était échappé, fuyant la rosée de sa prairie, juste à côté du gué. Il barrait le passage à trois montures apeurées, risquant de faire choir les cavaliers cramponnés à leurs licols. Ils hurlaient "Va t-en !" à l'animal venu brouter l'herbe au milieu du chemin sans daigner libérer le passage. Les montures tournaient nerveusement sur elles-mêmes, prêtes à s'emballer. Je me mis à courir autour d'elles en jappant. Les cavaliers comprirent que je les invitais à me suivre. C'est ainsi qu'empruntant un raccourci, je traversai la cité en trottinant gaiment, suivi des équidés enfin apaisés. Fier comme Artaban, je les menai jusqu'au pied de la falaise où ils retrouvèrent le chemin balisé.

Les bêtes ont piaffé, les hommes m'ont salué, ma queue à frétillé !

2 commentaires:

  1. C'est vrai qu'il paraissait fier ce chien...
    Je vois qu'il t'a inspiré.

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    1. Pas que moi, car ma photo a été le sujet d'un jeu sur le forum "Cercle Maux d'Auteurs"...

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